lundi 7 avril 2014

Episode 42 : Cris et crémaillère


Ça commence par un "Clac-clac-clac-clac-clac-clac" à l'infinie...

Et puis on sent le train accrocher la chaîne, les wagons montent dans un silence presque religieux, les clients retiennent leur souffle et nous, vu de la baraque d'à coté profitons du presque silence suspendu à leur peur.

Ils crieront dans la descente vertigineuse du looping.

Le "Clac-clac-clac-clac-clac-clac" de la crémaillère que j'entend 12 heures par jour rythme mes humeurs.

Il n'y a pas vie qui pourra remplacer ça.

Pas de bruit plus familier.

Les hurlements me donnent une indication sur l'affluence présente dans l'allée.

Le temps d’attente entre les trains me renseignent sur la longueur de la queue devant la caisse.

Au son je sais tout ça...

A minuit, la crémaillère se taira.

Le silence du métier réveillera les enfants et les chiens,couchés sous le plat-banc des grues ou des loteries.

 Il sera temps de rentrer aux caravanes.

Je suis nostalgique aujourd'hui, cette chronique est rythmée par le son de la crémaillère que je n'entend plus.

Ma foire me manque, ma FOIRE DU TRÔNE.

Je ne peux pas expliquer l'amour que j'ai pour elle...

C'est surement parce que je ne l'ai pas reçue en héritage, je l'ai gagnée sur le terrain, je l'ai quittée aussi parfois.

La foire du trône je la vis comme le symbole de mon métier de forain.

Je me revois adolescente petite foraine de banlieue qui venait visiter sa famille de privilégiés, ceux qui "faisaient le Trône".

Nous choisissions le samedi soir afin de voir tous les métiers ouverts, monter dans les nouveautés qui nous faisaient rêver aussi, comme de bons gadjés dans un magasin de jouets.

Nous nous fendions d'un malvenu "je peux monter je suis forain" sans nous rappeler que c'était samedi soir et que nous non plus sur nos petites fêtes nous n'aimions pas entendre "je peux monter je suis forain".

Les forains nous gratifiaient vite-fait un bonjour de courtoisie, pas la peine de s'étendre.

Notre famille hésitaient entre discuter avec nous et nous coller devant la friteuse...

Je les enviaient beaucoup à l'époque.

Mes fêtes à moi ne connaissaient pas le son de la crémaillère du grand huit.

Bien des années plus tard mon chemin me permit de devenir moi aussi une "trônarde".

Et j'en ai savouré chaque jour, bon ou mauvais, années pluvieuses, années de catastrophes financières, années de tempêtes politiques, années d’amitiés sincères, années de rancunes, années de mariages, années de divorces, années merveilleuses aussi.

Le trone c'est la vie d'un village particulier.

Une vie dans la ville sans mélange réel avec l'extérieur...qu'il soit avec les paysans ou bien les copains de province.

Il y a 18 ans j'ai vécu une anecdote dont j'ai encore honte aujourd'hui.

Je tenais ma baraque de sandwichs , surement un samedi soir bondé, j'ai vu arrivé dans l'allée une bande de forains que j'avais côtoyés dans mon autre vie.

Je les connaissaient tous , j'avais grandi avec eux, fait du vélo avec eux autour du scooter de mes parents, distribués les demi-tarif dans les magasins des petits patelins qui nous faisaient vivre.

A ce moment là : Moi "la grande connasse du trône"...j'ai tourné la tête pour ne pas leur dire bonjour, je pense pour ne plus leur ressembler.

J'ai renié mes racines pour les lumières de Paris.

J'ai renié mes petites fêtes foraines de banlieue pour le bruit de la crémaillère et des cris des clients.

Mon métier c'est ma VIE, je m'en aperçois chaque jour ou je ne le partage pas.

Le trône à redémarrer cette semaine.

Je n'y serais pas, j'entendrais les flons-flons de la fête par procuration.

Je demande pardon à mes potes d'enfance qui m'ont trouvée prétentieuse un soir de sortie...il ont eut raison.