lundi 20 janvier 2014

Episode 35 : Ma Verdine



Elle était bleue et blanche celle de mon enfance.

Un toit plat aux angles arrondis en signe de modernité, l'escalier en fer escamotable dans les coffres sous le châssis.

Au fond la salle de bain avec douche et WC, ensuite la chambre de mes parents, une cloison coulissante en guise de porte intérieure, puis notre chambre à mon frère et à moi, le salon/salle à manger et enfin la cuisine.

Tout ça dans 20m2.

Mon foyer voyageur voyageant 10 mois sur 12, mon foyer 365 jours par an.

Ma verdine blanche et bleue a vécue 45 ans dans notre famille, désormais elle termine sa carrière sur un terrain paysan.

C'est une résidence pour touristes en mal de dépaysement.

J'ai rêvé d'elle cette semaine...que je retournais chez moi.

Dans mon rêve j'ai revu la deuxième porte, celle qui ouvrait sur l’extérieur à partir de la salle de bain...je ne m'en souvenais plus.

Je revois les immenses fenêtres qui descendaient avec une mini manivelle fixée dans la cloison, autre modernité de l'époque.

La nostalgie me fait croire que je pourrais de nouveau y vivre...

La nostalgie n'est pas réaliste.

Nous y vivions à 4 (+ 2 chiens bâtards) dans ma verdine, elle était de grande taille pour les années 1960/70: un gros 20 m2.

J'ai appris à prendre mes aises, la modernisation des années 1980 volât quelques m2 sur le vide en repoussant les cloisons de droite et/ou gauche dans les nouvelles caravanes carrossées avec goût.

Pourtant ma verdine ne manquait de rien, les WC étaient de véritables toilettes avec chasse d'eau, la douche était chaude, le frigo toujours réfrigéré...

Je vois déjà des forains levant les yeux au ciel devant tant d'évidences.

Sauf que 50 ans après notre première nuit dans ma verdine, les sédentaires ne comprennent toujours pas que l'on puisse vivre dans un logement de 20m2.

Parce qu'il est mobile ?

Est-ce que "caravane" rime avec inconfort et camping "Paradis" ?

La modernité franchi le paillasson des foyers qui l'y convie.

Ma tante fit entrer le sèche-linge par la porte du fond des années après que ma mère n'y ait casé une machine à laver.

L'évolution des années 2000 n'a oublié ni les écrans plats ni le Wifi.

De notre côté nous sommes régulièrement choqués par les émissions de télé larmoyantes montrant (en général) une famille en grandes difficultés financières ou bien une mère célibataire CONTRAINTES à vivre dans un mobil home.

Au dernier "Salon du Camping-car" j'ai pu constater qu'un mobil home ordinaire doublait la superficie habitable de la verdine de mon enfance.

Alors quoi, les forains se contentent-ils de peu ?

Chez les gadjés ma vie en caravane signifie-t-elle une vie dégradante et misérable ?

Serais-je plus heureuse si ces 20 m2 existaient au 5eme étage d'une résidence de banlieue? Ou bien même avenue Foch ?

La mère célibataire télégénique le préférerait.

C'est oublié bien vite un sentiment exquis que nous apprécions...

...Celui d’être maître de sa vie. Ou d'une partie.

Rien à voir avec l'argent, c'est un sentiment (illusoire) de liberté.

Dans ma verdine on y accueillait la famille, surtout l'hiver.

Au printemps les repas conviviaux et chaleureux se tenaient sur la grande table posée là, dehors, devant l'escalier escamotable.

Forcement c'était petit, je ne le nie pas...

L'espace entre mon lit et mon placard permettait juste d'ouvrir la porte de celui-ci...

J'avais un peu peur quand mon père déplaçait avec le camion la caravane de quelques mètres alors que nous étions dedans...

L'intimité était inexistante...

Pourtant voyez-vous 30 ans après l'avoir quittée, une photo de ma verdine me fait monter les larmes aux yeux.

Je vis aujourd'hui avec un peu plus de confort, un peu plus d'espace.

Je suis une femme de mon temps, je ne cherche pas le retour en arrière.

Une autre caravane comblera ma vie foraine.

Les repas chaleureux se feront à l’intérieur été comme hiver. Merci la clim et les m2 volés sur le vide.

Sachez monde sédentaire que pour tout forain il n'existe pas plus beau château que celui tracté derrière le camion de son métier.

La verdine de mon enfance n'était pas grande, des forains vivent encore dans des caravanes modernes de - de 20m2.

A l'ouverture de la porte principale, le pied posé sur le marchepied, une vision magnifique s'offre à moi :

Celle de ma vie sans cesse renouvelée...



ps: ce n'est la photo de ma verdine, c'est un emprunt